Palmarès de la 10e édition
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TELERAMA
Le festival Impatience consacre les femmes de théâtre
From www.telerama.fr – December 13, 2018 10:40 PM
Pour la première fois de ses dix années d’existence, le palmarès du festival Impatience aura été exclusivement féminin, décernant ses prix à trois jeunes artistes graves, drôles et singulières tout ensemble : Tamara Al Saadi, Justine Lequette et Anne Sibran.
Quelques années, déjà, qu’on remarque avec joie combien les talentueuses metteuses en scène se font de plus en plus nombreuses et commencent avantageusement à conquérir la direction de Centres dramatiques nationaux ; hommage soit rendu à l’action de l’ex-ministre de la culture Aurélie Filippetti… Mais voilà que, pour la première fois de ses dix années d’existence, le palmarès du festival Impatience aura été exclusivement féminin, décernant son grand prix, le prix des lycéens, le prix du public, et le nouveau prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques à trois jeunes artistes graves, drôles et singulières tout ensemble : Tamara Al Saadi (pour Place ), Justine Lequette (pour J’abandonne une partie de moi que j’adapte ), Anne Sibran (pour Je suis la bête). Signe des temps que cette émergence et reconnaissance de créatrices qui jusqu’alors avaient tant de mal à faire entendre leur voix, Ariane Mnouchkine, Macha Makeïeff exceptées ? Elles sont là désormais, fortes et exigeantes, qui nous racontent l’exil, l’identité, la mémoire, la société française ou l’animalité. Avec poésie, lucidité, émotion et humour.
Chaque édition révèle un état de la scène et du monde d’aujourd’hui
Imaginé en 2009 par Olivier Py — alors patron de l’Odéon Théâtre de l’Europe — et Télérama, aujourd’hui porté par José-Manuel Gonçalvès et son équipe du Centquatre — auxquels se sont joints le Théâtre de Gennevilliers et le Jeune Théâtre National — Impatience aura successivement mis en lumière (entre autres) Thomas Jolly, Chloé Dabert, Fabrice Murgia, Julie Deliquet, Guillaume Barbot ou le Raoul Collectif. Et chaque édition de cet effervescent festival de la jeune création théâtrale d’expression française est révélatrice d’un état de la scène et du monde d’aujourd’hui, des préoccupations, des angoisses et des désirs qui s’y nouent et dénouent. L’interrogation sur la place du sauvage en nous aura eu ainsi la part belle, traitée avec humour ou ambition. Ou poésie, comme dans le magique et sophistiqué Je suis la bête d’Anne Sibran (Prix SACD), monté et incarné par Julie Delille. Un conte au parfum symboliste et gothique que n’auraient renié ni Maeterlinck ni Edgar Poe, et que met en scène avec une rare perfection formelle — dans les noirs éclairages comme dans le très mystérieux travail sonore — son unique interprète. Elle y joue une enfant abandonnée dans un placard, recueillie par une chatte et devenue chasseuse au fond des bois… Julie Delille donne étrangement corps au verbe indocile et fou d’Anne Sibran, revendique le noir de la salle, le silence et le cri des forêts. Et son obscure plongée en terre animale renvoie à de sorciers territoires enfouis en chacun…
Diversité de formes, d’ambitions, de regards
Réveiller et affronter nos zones d’ombre, historiques, sociales, identitaires, tel est aussi le défi qu’ont tenté et réussi Justine Lequette dans J’abandonne une partie de moi que j’adapte (Prix du public), et Tamara Al Saadi, auteure et metteuse en scène de Place, prix du jury Impatience, présidé cette année par Charles Berling. La première ausculte la société française des années 1960 à aujourd’hui en s’inspirant des travaux de Jean Rouch et Edgar Morin dans Chronique d’un été. Reconstitution virtuose et hilarante des voix, des corps et des décors de ces années gaulliennes, réflexion ironique sur le malaise et le désarroi actuel, ce qui continue de ne pas changer : le travail, en légèreté comme en profondeur, de cette formidable équipe belge est délicieux de drôlerie et ravageur de lucidité triste. A la fin du spectacle, les comédiens sortent en file indienne du plateau, nus et démunis. Pas dans w, qui scelle au contraire une sorte de réconciliation chez une jeune Irakienne, exilée avec sa famille en France et tiraillée entre la fidélité à ses origines et sa volonté de s’assimiler. En dédoublant son personnage principal — sa part irakienne, sa part française — Tamara Al Saadi a su incarner avec tendresse les regrets, remords et désirs que porte toute tentative d’intégration à une autre culture que la sienne. Et elle parle aussi des pères, des mères, des pesanteurs familiales, sociales. De la difficulté de se faire naturaliser comme accepter par la famille occidentale libérale de son fiancé… Simple, clair, lumineux, monté avec une pauvreté et une radicalité de moyens assumées, joué avec liberté, Place empoigne l’aujourd’hui de nombre de réfugiés, nous y intègre avec pudeur, sans esbroufe. La plus forte émotion d’un festival 2018 d’une grande diversité de formes, d’ambitions, de regards. Ce dixième anniversaire était bel et bon .
FABIENNE PASCAUD – DECEMBRE 2018
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LIBÉRATION
Anne Diatkine – Juillet 19, Festival d’Avignon
“Emouvante et drôle, la pièce de Tamara Al-Saadi met en scène la dualité d’une jeune fille tiraillée par son désir d’intégration et le renvoi constant à ses origines irakiennes. Cela s’appelle Place, comme la place qu’on prend ou qu’on laisse, qui se refuse ou qu’on s’interdit, et c’est l’heureuse surprise du «in» en cette fin de Festival. (…) Sur le plateau, il n’y a rien, ou pas grand-chose : une simple chaise-coque en plastique, identique à celle sur laquelle les spectateurs sont assis, quand la représentation commence. (…) Ce sont des scènes qui surgissent, pour dire l’épopée subjective de l’exil et le deuil de la langue.(…) A un certain moment, un nuage de sable tombe des cintres et submerge le plateau devenu à la fois désert et oubli – et on s’étonne que la scénographie devienne si belle avec si peu, quelques chaises et cette pluie. Parfois, les deux versions du même personnage coïncident presque, quand elles chantent a cappella un poème d’Aragon, en se décalant légèrement, et cette impossibilité à coller avec soi-même provoque une émotion forte.“
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LA PARAFE
« Place » de Tamara Al Saadi au T2G – art-thérapie pour schizophrénie avérée
Pour quelques dates seulement, est repris au T2G un spectacle présenté l’an dernier au Festival Impatience, consacré au théâtre émergent, récompensé du prix du jury et de celui des lycéen.ne.s. Il s’agit de Place de Tamara Al Saadi, qui s’interroge sur celle que les « étrangers » cherchent à occuper dans notre société française. Le terme entre guillemets désigne des individus issus d’immigrations plus ou moins récentes, profondément déchirés
entre leurs racines familiales et le monde faussement cosmopolite dans lequel ils essaient de se fondre. La jeune metteure en scène aborde cette question profondément actuelle depuis une perspective intime qui ne peut que toucher, et crée à partir d’elle un spectacle aux multiples qualités.
Une voix frêle et mélodieuse s’élève pour chanter un hymne, avec une détermination croissante. Quand elle termine, elle est assaillie par quatre autres, fermes, autoritaires, qui lui interdisent à l’unisson de sortir, évoquant des dangers qui la menacent. La jeune fille, évidemment, sort, et décrit au public les choses qu’elle a découvertes ce jour-là, qu’elle n’avait jamais vues – un ciel marron, un monde en ruines. Une autre vient prendre le relais et, s’adressant toujours aux spectateurs, raconte le moment où elle a réalisé qu’elle ne voyait plus, qu’elle ne pouvait plus lire. Ces jeunes qui parlent d’elles, qui partagent un pan de leur vie sur le mode de la confession, évoquent celles réunies par Julie Bérès dans Désobéir, qui transmettaient les histoires des filles de nos banlieues collectées dans les rues d’Aubervilliers. Leurs récits, la place qu’on perçoit d’emblée centrale accordée à leurs
corps, suggèrent ce rapprochement, en réalité profond : ces deux spectacles nous parlent d’intégration, ou d’assimilation – deux termes entre lesquels se formule le débat.
Une enfant vient relier ces deux prises de parole initiales et indiquer à la seconde jeune fille qu’elle est en conflit avec la première. Toutes deux se révèlent en effet les versants d’un même être qui n’arrive plus à ne faire qu’un, qui s’est scindé entre l’histoire de sa famille d’une part, qui n’est pas vraiment la sienne, et ce qu’il s’est efforcé de devenir avec le temps d’autre part, à force de vouloir appartenir à un groupe au sein duquel il se sent irrémédiablement étranger. A partir de ce diagnostic de schizophrénie aigüe, Yasmine retrace mentalement les grandes étapes de sa vie, de son apprentissage de la langue française comme une mélodie incompréhensible à ses études à la fac, de la guerre d’Irak qui
a chassé sa famille de Bagdad au bureau des naturalisations, de son enfance à son entrée dans le monde adulte.
Ce récit, fait de bribes, est relaté par deux corps pour Yasmine, et quatre figures familiales : le père, mutique, la mère, tragédienne remarquable, la grande sœur et le grand frère. Plus
tard, surgit encore le premier petit copain. Les identités fluctuent parfois d’un acteur à l’autre, pour donner à entendre les copines de collège, l’employée du service des naturalisations, ou les parents du petit-ami – autant de voix qui donnent à entendre un racisme diffus. D’une scène de vie à l’autre, s’opère la métamorphose de Yasmine au teint métis et aux cheveux noirs et frisés, à Yasmine au teint clair et aux cheveux blonds et lisses, de la petite fille qui ne tient pas en place et vit à travers les héros du Chevalier du Zodiac et de Rambo – comme Dieudonné Niangouna vivait à travers des films de Kung-Fu – à la jeune fille qui se traîne par terre dans l’espoir d’entrer en relation avec un garçon.
Le dédoublement entre deux actrices du personnage principal teinte d’humour la douleur de la déchirure profonde évoquée. Les deux êtres qui le constituent se chamaillent, se disputent, se battent constamment – tantôt contre la survivance d’un passé qui fait tache, tantôt contre une censure de plus en plus intériorisée qui refoule le passé. Autour d’elles deux, le registre élégiaque qu’approfondissent les membres de sa famille tourne parfois au burlesque, grâce à un jeu d’acteurs constamment sur le fil entre le rire et les larmes. Tamara Al Saadi – car c’est son histoire qui inspire ce spectacle – se raconte aussi avec des sons – des archives sonores journalistiques rendant compte de la guerre en Irak –, des voix qu’elle transforme en sample, dont le caractère répétitif dit le ressassement de la mémoire, des chants, ou des danses sans musique à travers lesquelles le corps exprime ses souvenirs. Elle déploie également des traînées de sable sur le plateau, aux dessins infinis – comme Lorraine de Sagazan dans L’Absence de père, autre metteure en scène trentenaire qui s’interroge sur ses origines et manipule sur scène cette matière pour dire un passé en ruines, un présent qui glisse entre les doigts et un avenir qui semble impossible à construire sur des fondements aussi fragiles.
La résolution de cette scission de plus en plus marquée semble impossible à mesure qu’elle s’expose. Alors que les parents restent prisonniers d’une situation qu’ils croient toujours temporaire alors qu’elle s’éternise depuis des années, que la sœur renonce à vivre en France car elle est hantée par son enfance en Irak, Yasmine, elle, continue sa progression vers l’acquisition de l’identité française, quoique de moins en moins certaine de la vouloir. L’impasse pourrait paraître tragique si l’art ne se révélait pas un espace pacifique. La Yasmine qui parle l’arabe et celle qui parle le français ne se comprennent plus, à moins de réciter des poèmes d’Aragon ou de Darwich, poète palestinien. De la fiction à la vie réelle, c’est l’histoire-même de la metteure en scène qui rend possible la réconciliation avec soi, ainsi transformée en récit, en écriture, en spectacle, capables de surmonter la division profonde de l’être, de la sublimer en la rendant partageable et en lui donnant un sens. Avec Place, le théâtre prend la forme d’une thérapie, devient un médium capable de transformer ce qui est perçu comme une faiblesse en une force, en un vecteur artistique qui puise son intensité dans l’authenticité du vécu.
F.
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AGENDA CULTUREL
Tamara Al Saadi : ‘’Place’ est née d’une impulsion d’écriture’’
Le 03/09/19
Par Aina de Lapparent
Tout a commencé par un voyage à Londres durant l’été 1990. La première guerre du Golfe éclate et la famille Al Saadi transforme ses vacances en un exil en attendant un retour qui n’aura jamais lieu. Tamara a alors cinq ans. 24 ans plus tard, devenue comédienne, elle se met à écrire son histoire. ‘Place’ est une autofiction, doublement lauréate au Festival Impatience, ce qui lui a valu entre autres de passer à la section IN du Festival d’Avignon. On va la découvrir lors du European Theater Festival au théâtre al Madina. Nous avons rencontré Tamara Al Saadi.
Vendredi 6 septembre 2019
Pouvez-vous nous raconter le processus de création de la pièce ?
Un jour, j’ai commencé à me réveiller en sursaut parce que j’oubliais des mots en arabe. Je ne me rendormais que quand ils me revenaient en mémoire. Mon interrogation sur ce phénomène a donné lieu à une impulsion d’écriture en 2014. Par ce biais, j’ai réussi à mettre en lumière le fait que j’avais passé par différents mécanismes d’assimilations dans différentes sphères. Déjà, dans mes premiers moments à l’école, on m’a fait sentir que le fait d’être arabe serait un obstacle et qu’il fallait cesser de l’être. Pour moi c’est important d’insister sur le mot assimilation qui n’a pas le même sens qu’’intégration. Car il s’agit là d’annuler une culture et de la remplacer par une autre ce qui crée une forme de violence. C’est ce mécanisme interne que j’ai cherché à montrer dans mon travail. Pourtant, au début, je n’étais pas pleinement consciente que c’était de cela dont je parlais, l’histoire s’est découverte petit à petit.
Quel type d’œuvre peut espérer le spectateur ?
C’est une autofiction qui est inspirée de situations très personnelles, même si le théâtre nous permet de les élargir par le fantastique. L’intention n’est pas de faire la morale mais de traduire le chemin qu’une étrangère parcourt. Je souhaite que les spectateurs rencontrent une histoire, pas des réflexions toutes faites. Mon idée n’est pas de donner des réponses mais d’ouvrir des portes. Et si leur réflexion rencontre la mienne, j’aurais réussi mon pari.
Quel est le rôle de l’humour dans la pièce ?
Il très présent car je pense que l’humour est un outil puissant pour créer une communauté. Je ne vais pas m’en priver !
Quelle est la pertinence de ‘Place’ pour le public libanais ?
La symbolique est très forte parce que cette pièce, qui est l’histoire d’une femme moyen orientale dans la société française, va représenter la France dans le Festival [de théâtre européen au Liban]. Sinon, pour avoir passé pas mal de temps au Liban j’y vois quelques points communs avec l’Irak. Les deux sont des pays marqués par l’histoire coloniale, avec des épisodes de guerre mais qui ont aussi une civilisation forte et un énorme héritage humain.
Je me dis que comme Bagdad m’a accompagné dans mon parcours dans la société française, peut être que certains libanais pourront se reconnaître dans leur relation avec leur pays quand ils sont dans un contexte occidental. Peut-être que nos traversées sont semblables, ce qui nous donne un regard sur le monde qui pourrait être similaire. De manière plus personnelle, la première fois que je suis rentrée chez moi, à Bagdad, c’était par le Liban. C’est donc un grand honneur pour moi que Place se joue à Beyrouth.
Place se joue le 27 et 28 septembre au Théâtre al Madina dans le cadre du Lebanon’s European Theater Festival.
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LA TERRASSE
Agnès Santi
S’inspirant de son propre vécu, Tamara Al Saadi retrace l’expérience de son arrivée en France et son combat pour y trouver sa place. Depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte.
« J’ai grandi à Paris, dans un “en attendant“. » confie Tamara Al Saadi. En attendant de pouvoir rentrer en Irak, alors que la Guerre du Golfe vient d’éclater et que les frontières de son pays se sont fermées. Elle
avait alors 5 ans… Si l’illusion du retour semble figer le temps, de manière toujours plus aiguë pour les plus âgés, elle oblige chacun des membres de la famille à tenter de se construire entre sa culture d’origine et celle inconnue du pays d’accueil. C’est sa propre expérience de l’exil que raconte Place, autofiction née « de la nécessité de parler d’une impasse, de ce sentiment qu’éprouvent parfois les étrangers à n’être jamais au bon endroit, de la bonne façon ». Pour ce faire, la jeune auteure et metteure en scène, qui a remporté avec cette pièce le prix des Lycéens et le prix du jury du Festival Impatience 2018, installe le récit dans un espace mental où elle convoque ses souvenirs et ses fantômes d’enfance, et donne à voir dans une scénographie très sobre ce qui accroche et achoppe dans sa quête identitaire. A la maison, à l’école, à la Préfecture de police, lors d’un dîner avec les parents de son petit-ami français… Plutôt qu’un déroulé linéaire, elle choisit la mise en lumière vive et affûtée de certaines situations, certaines tensions, utilisant régulièrement la distance de l’humour mais laissant voir aussi la gravité des blessures.
Conflits intérieurs
Née pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak, sa famille a été imprégnée de moments de souffrance. « Je me souviens de mon enfance comme d’un cri. » assène- t-elle. Afin de dramatiser les conflits intérieurs qui l’agitent, le personnage principal de Yasmine est dédoublé. Toutes deux, Yasmine 1 et Yasmine 2, sont interprétées avec talent par Mayya Sanbar et Marie Tirmont. D’un côté une jeune fille qui représente son moi originel, irakien. De l’autre une jeune fille qui se veut française en voulant évacuer sa part arabe, et qui lance à son double : « Tu n’es qu’un empêchement. » Cette projection d’une subjectivité exacerbée a le mérite de la clarté, et fait émerger des moments d’émotion, mais elle génère aussi une dramaturgie démonstrative, avec quelques fragilités. L’aspect autobiographique et intime rejoint bien sûr des questions politiques, et la pièce invite à réfléchir à ce que signifient l’intégration ou l’assimilation, sujets de nombre de débats parfois étriqués. Etriquée, la pièce ne l’est pas, tant elle s’attache à laisser voir la coexistence d’enjeux et perceptions contradictoires.
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INFERNO
Jean-Louis Blanc
« PLACE », UN TEMOIGNAGE FORT ET LUMINEUX SUR L’IDENTITE
Qui suis-je ? Quelle est ma place dans ma famille, dans la Société ?
Questions simples s’il en est mais universelles et fondamentales que se pose Tamara Al Saadi dans cette pièce de source autobiographique qui nous invite à pénétrer dans son espace mental en compagnie de son père, sa mère, son frère, sa sœur et… de son propre double, une autre elle-même, un reflet dans un miroir mais pourtant bien présent.
Car il y deux Yasmine ! Yasmine 1 est ce qu’il reste de cette petite fille arabe qui a vécu en Irak jusqu’à l’âge de quatre ans, Yasmine 2 est cette jeune femme qui a grandi et fait ses études en France après que sa famille s’y soit exilée, malgré elle, lors de la Guerre du Golfe.
Dès le début du spectacle Yasmine 1 dialogue avec Yasmine 2, lui parle un arabe qu’elle ne comprend pas, ou plus. Une petite fille, telle une psychologue avisée, peut être l’inconscient de Yasmine, semble comprendre la situation, sert d’interprète et tente avec bienveillance d’établir un pont entre ces deux personnes qui ressentent un besoin profond, vital, de n’en faire qu’une.
Ce voyage dans l’univers mental et l’inconscient de Yasmine nous fait revivre les moments marquants de sa vie ou des membres de sa famille qui résonnent profondément en elle.
Il s’agit d’une quête à la recherche de sa véritable identité, celle que l’on ressent dans son inconscient, celle qui permet de construire sur cette dualité une entièreté harmonieuse.
Malgré l’importance et la complexité du sujet et des moments de tension et de forte émotion, le spectacle, loin de sombrer dans le pathos, est mené de bout en bout d’un rythme alerte, empreint de traits d’humour raffinés, voire franchement comiques, et d’une certaine autodérision.
Certains moments sont irrésistibles, comme quand Yasmine 1, alors adulte mais encore imprégnée de sa culture arabe, revit son enfance de petite fille délurée dans un jeu presque clownesque mais d’une grande finesse.
D’autres moments attirent des sourires amers comme ces dialogues impersonnels et bureaucratiques avec une fonctionnaire chargée d’instruire un dossier de naturalisation. Le ton n’est pas sans humour mais reste réaliste, les questions crédibles mais parfois affligeantes. Dans un même registre, la rencontre de Yasmine avec les parents d’un jeune amoureux donne lieu à des échanges savoureux. Yasmine est parfaitement intégrée, ils ne sont certainement pas racistes bien sûr, mais… tout de même…
Des épisodes de la vie de Yasmine émergent au fur et à mesure dans le désordre : les rapports avec le frère et la sœur plus âgés, le père prisonnier lors de sa naissance, toujours proche mais jamais vraiment présent, la mère hypocondriaque mais souffrant surtout du mal de la guerre, de l’absence de son mari.
La mise en scène de Tamara Al Saadi est axée sur le jeu des comédiens, tous talentueux, passant souvent d’un jeu franchement comique à des moments d’extrême émotion en passant par la nostalgie, les hésitations, l’amour, le drame…
Le plateau est nu. Quelques traces de sable doré qui s’échappe des personnages dessinent des arabesques aléatoires sur le sol. Les membres de la famille, comme ancrés dans la tête de Yasmine, siègent sur la scène durant tout le spectacle. Vers la fin du spectacle une cinquantaines de chaises renversées évoquent la guerre, une école dévastée. Puis celles-ci sont alignées avec soin pour évoquer alors une salle d’attente de préfecture mais peut-être aussi une sorte de quiétude intérieure, une fusion apaisée entre les deux Yasmine, une intégration enfin « digérée ».
Le père, resté silencieux durant presque tout le spectacle parle enfin comme pour libérer Yasmine. Il raconte son enfance et résume sa vie dans quelques mots qui résonnent sans doute très fort dans le cœur de Yasmine : « On avance toujours seul… Je me souviens de mon enfance comme d’un cri… ».
C’est un public enthousiaste, debout, qui fait un formidable accueil à ce spectacle. Une pièce lumineuse et forte qui évoque tout à la fois avec émotion, pudeur et élégance la recherche d’une identité, la quête de ses racines et les difficultés d’une intégration réussie. Un témoignage autobiographique fort sur l’Identité, l’un des thèmes majeurs de ce Festival.
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Le Grand Paris pour vous…
Par Charlotte Fauve
« La visibilité qu’offre Paris à nos révoltes est tout aussi grande que sa capacité à les faire taire »
Du 23 au 28 novembre 2019, Place, pièce de la franco-irakienne Tamara Al Saadi, fera se télescoper Paris et Bagdad sur les planches du 104. Rencontre avec une comédienne, auteure et metteuse en scène engagée.
Le Grand Paris en un souvenir ?
Ma famille venait d’arriver à Paris lorsque j’ai vu pour la première fois la neige. Nous habitions un appartement dans le 16e. Dès que les premiers flocons sont tombés, mon frère et ma sœur se sont précipités dans le square en contrebas de l’immeuble. J’étais à la porte en train d’enfiler mon petit manteau quand ma grand-mère m’a saisie par le col de la veste de mon pyjama, elle avait peur que j’attrape froid. Je suis restée des heures figée à la fenêtre et, depuis, j’ai toujours la même émotion lorsque Paris se couvre de blanc. De mes six à vingt ans, j’ai ensuite vécu dans une grande tour du 15e, à Beaugrenelle. Ce paysage, c’est un peu ma maison parisienne, ma rencontre avec la Capitale. Je me souviens que nous n’avions pas de pendule au mur, on regardait l’heure sur la façade de la Maison de la Radio au dehors. Il y avait une vue magnifique sur la Seine et l’Île aux Cygnes. Je n’y ai jamais aperçu de cygnes, jusqu’à ce jour où je les ai vus s’envoler par la fenêtre. C’était le jour du décès de mon père.
Un jardin secret ?
Les cafés parisiens sont merveilleux pour rêver et écrire. Place, j’ai commencé à l’écrire il y a quatre ans, sur un canapé du Comptoir Général, au bord du canal Saint-Martin. C’est un bar avec de larges vitres, de grands sofas, souvent désert l’après-midi, où j’aimais beaucoup m’asseoir. Et puis, il y a tous les cafés des gares : attendre un train dans le café du Train Bleu, quel plaisir ! Les gares parisiennes, comme les aéroports, sont des espaces fantastiques, ce sont les endroits où je lis, où j’écris le mieux.
Un coup de gueule ?
Paris, en dépit de sa densité, possède tant de bâtiments vides… Je pense, par exemple, à cet ancien lycée hôtelier, Jean Quarré, dans le 19e arrondissement, aux immenses salles désaffectées : nous avons pu y abriter des réfugiés qui en ont ensuite été délogés. Tous ces espaces vacants ne demandent qu’à être habités, investis. Le fait que cette ville, au regard de son passé, de sa charge historique, ce envers quoi elle s’est battue et dressé, n’accueille pas de tout son être des gens qui ont été prêts à mourir pour la rencontrer, je trouve cela odieux.
Un coup de cœur ?
La visibilité qu’offre Paris à nos révoltes est tout aussi grande que sa capacité à les faire taire ! Des espaces comme l’esplanade du Trocadéro, pour n’en citer qu’un, sont uniques : récemment, cent 100 femmes s’y sont rassemblées pour dénoncer le centième féminicide, ces 100 femmes mortes sous le coup de leurs conjoints ou de leur ex-conjoints depuis le début de l’année 2019… Ce sont des lieux forts et des moments marquants.
Un rêve ?
Je rêve de décloisonner Paris, qu’il n’y ait pas de coupure entre le cœur de la Capitale et ses banlieues. Je rêve d’un réaménagement urbain où il serait possible d’habiter au fin fond du 93 et d’arriver en un quart d’heure au pied du Louvre. Je rêve d’une mixité de structures et d’institutions scolaires, médicales, culturelles qui embrasseraient les Parisiens au sens le plus large.
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Tamara Al Saadi, Paris-Bagdad
Charlotte Fauve
« La France, c’est le pays où tu te prends un poteau dans la gueule dès que tu passes la porte. » Tranchante et poétique, drôle et triste, Place, pièce de Tamara Al Saadi, est tout cela. Et c’est surtout l’histoire de Yasmine qui, après avoir fui Bagdad avec sa famille au début de la guerre d’Irak, reconstruit sa vie à Paris. Une héroïne, donc, mais deux comédiennes – fantastiques Mayya Sanbar et Marie Tirmont – pour montrer la déchirure d’un esprit tiraillé entre deux langues, deux pays, deux cultures. « Une partie du personnage se raccroche toujours à l’ailleurs », explique Tamara Al Saadi, qui avoue avoir trouvé l’impulsion de l’écriture au cours de nuits d’insomnie. « Je me réveillais parce que j’oubliais des mots de ma langue maternelle, confesse-t-elle, et je n’arrivais à me rendormir que lorsqu’ils me revenaient. Cela m’a forcée à me questionner sur les mécanismes d’assimilation qui sont l’enjeu de la pièce, cette convergence de forces, de situations, qui font que l’on finit par avoir honte de son origine. » En dépliant son parcours, celui d’une franco-irakienne, réfugiée à 5 ans dans la Capitale, diplômée de Sciences Po et aujourd’hui comédienne, auteure et metteuse en scène, Tamara Al Saadi a mis sur planches cette autofiction à l’aide de dispositifs simples : des chaises coques, un plateau noir brillant. « J’aimais l’idée de pouvoir inventer mille espaces avec très peu d’éléments, le fait de pouvoir raconter à la fois la préfecture de police de Paris ou une salle de classe bombardée. » Au fil des scènes, le sable s’infiltre partout, tombé des replis d’un manteau – d’une mémoire ? – ou en avalanche, depuis les cintres, à l’image d’une tempête de sable, courante à Badgad. Tel un fil, celui d’un sablier, il se fait aussi métaphore du temps qui passe. Celui-ci s’égrène à l’heure de l’Irak, à partir de l’opération Tempête du désert, en 1991. Avec économie, Tamara Al Saadi réussit ainsi la prouesse de faire cohabiter deux mondes dans un même espace, associant la capitale irakienne aux couloirs du métro parisien. À 33 ans, la benjamine du Festival d’Avignon 2019 montrera sa pièce du 23 au 28 novembre 2019 dans la Capitale, au 104. Avec des représentations se jouant déjà à guichet fermé et 38 dates de tournée prévues, un an après avoir fondé sa compagnie – Base, avec Mayya Sanbar –,Tamara Al Saadi semble bel et bien avoir trouvé sa place.
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Place, écrit et mis en scène par Tamara Al Saadi au CENTQUATRE-PARIS
article de Nicolas Thevenot
Un sol laqué noir, intense, dont la brillance assourdie épouse la dureté. Quelques chaises, coques blanches sur tubes noires, formant constellation. On est saisi par l’économie rigoureuse et vigoureuse que recouvre cet espace minimaliste, lieu intime d’une écriture, celle en l’occurrence de Tamara Al Saadi, qui signe la mise en scène de son propre texte, Place, lauréat du Prix du Jury et Prix des Lycéens du Festival Impatience 2018.
Place est le récit d’une jeune fille, Jasmine, immigrée en France lors de la première guerre du Golfe, déchirée entre la jeune Irakienne qu’elle était en arrivant et la jeune Française qu’elle est devenue. Malgré tout, par tous, assignée à une identité qui ne coïncide plus avec la jeune femme qu’elle est aujourd’hui.
Ne cédant à aucun sentimentalisme, aucun larmoiement, Tamara Al Saadi écrit d’une pointe sèche et met en scène avec un souci d’exactitude, de justesse, taillant scène et mots pour obtenir cette brillance et dureté de diamant noir.
Place choisit résolument le parti du théâtre. C’est important de le souligner. À l’heure de la prolifération des micros HF et d’une esthétique de jeu aspirée par un naturalisme vu au cinéma, à l’heure d’une mutation de l’acteur de plus en plus digitalisé sur les scènes de théâtre elles-mêmes transformées en écran de cinéma, il est remarquable de voir s’affirmer un tel geste, encore plus pour un projet dans la veine du documentaire et de l’autobiographique. Tamara Al Saadi et ses comédiens s’emparent des moyens du théâtre dans ce qu’il a de plus essentiel. Ils profèrent le texte, dans une justesse faite d’excès passant outre ce naturalisme envahissant pour atteindre l’endroit précis et précieux de son écriture. Ce théâtre se débarrasse aussi très vite de tout psychologisme, et s’il y fait référence explicitement au tout début c’est comme pour en libérer une fois pour toute le spectateur : qu’avons-nous à faire d’explications théoriques, semble-t-il nous suggérer, quand il est possible de mettre en jeu sur scène les conflits qui déchirent un être ! Cette expérimentation par l’écriture et par le plateau va ainsi dédoubler le personnage de Jasmine en deux comédiennes incarnant l’une son moi irakien, l’autre son moi français, permettant de mettre en scène et en corps ce déchirement, non sans humour, et surtout avec une pertinence puissamment agissante au plateau.
Ce choix du théâtre dans sa forme la plus pure, celle de la représentation, travaille l’enjeu profond de Place : questionner les représentations qui nous enferment, oblitèrent le regard des uns sur les autres. Celles, identitaires, que la société assigne à toute personne étrangère, ou plus exactement écrit : à toute personne soupçonnée d’extranéité. Et celles que nous adoptons nous-mêmes, matériaux hétéroclites que l’enfance et la vie nous offrent dans la formation de l’âge, ces avatars que nous envions ou envisageons symboliquement comme des prolongements de soi — qu’il s’agisse de Dragon Ball, Rambo, un père, une mère, une sœur et de bien d’autres encore. Nous sommes faits de références. Que nous choisissons ou que nous subissons : reliées à une histoire, à un groupe, à une terre.
Sur ce sol noir, à la dureté de diamant, la famille déracinée de Jasmine n’en finit pas de se vider d’un sable jaillissant des poches de l’un, fuyant de la manche d’un autre, maculant le temps présent, traçant le chemin perdu jusqu’à la terre abandonnée, là-bas à Bagdad, dans un jardin où des arbres ont pris racine. Mais quand ce sable s’abat des plafonds ou s’échappe d’une bouche secouée par une violente toux, comment ne pas y voir la poussière des gravats quand les bombes s’abattent sur Bagdad. Dans l’économie de moyens mis en jeu, cette matière polysémique — le sable invoquant aussi l’écoulement du temps — embrasse avec une poésie efficace et peu commune l’histoire de ces vies. Comme aucun mot ne saurait le faire.
Ce pays lointain, dont il ne reste que des grains de sable, c’est aussi cette mère bouleversante dont la souffrance s’est installée comme un nouveau territoire, lui imposant de jouer ce rôle tragique où l’on sent poindre la comédienne (ce qui la rend encore plus touchante), d’endosser cette identité de substitution, celle d’une épouse et mère abandonnée sous le regard d’enfants qui lui deviennent étrangers.
Et c’est enfin la figure de ce père pétrifié, mutique, soudainement accablé par la toux, les yeux fixés vers un horizon qui est un passé, présence fantôme qui creuse son sillon dans notre regard et nous relie à cet ailleurs passé. Quand enfin il prendra la parole, partageant avec sa fille et avec nous un souvenir de son enfance, quelque chose d’infiniment doux se mettra à briller comme une promesse. Le desserrement d’une étreinte.
On avouera avoir rarement vu aussi beau portrait d’un père et d’une mère.
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